"Une Chinoise en France" - Vision comparative des cultures sino-française (et sino-occidentale)
A publier en épisodes; traduits au fur et à mesure de ce que j'ai écrit en chinois
Et, si ça peut vous aider à mieux saisir ma position, je m'imagine m'adresser à mes compatriotes.... ;-)
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1. La différence culturelle dans la salutation
1.1 Faire attention aux gens
La salutation commence par faire attention à l’autre, à
chaque personne présente. C’est un point fondamental pour moi, mais ignoré par
beaucoup de Chinois.
En Chine, on est habitué à ignorer les inconnus. Quand on
entre dans un ascenseur on ne regarde pas les personnes dedans ; au
magasin on va directement vers les choses qui nous intéressent sans regarder le
vendeur ; quand on passe à la caisse au supermarché, on regarde justement
combien il faut payer, et puis payer et partir, sans savoir à quoi ressemble le
caissier. Tout le monde fait comme ça et tu es traité de « bizarre »
ou « « encroûté » si tu ne fais pas pareil.
Il y a quelques années, lors de mon premier retour en Chine,
en entrant dans un ascenseur j’ai lancé un sourire global (envers tout le
public). Il y avait un couple, dont la femme a regardé alternativement son mari
et moi avec méfiance, doutant que je le connaissais, et puis m’a jeté un œil
blanc (pour elle je draguais…). J’ai vite compris la gravité des choses et, dès
lors, faisais une tête froide chaque fois quand j’entrais dans un ascenseur.
Sans ce léger sourire comme salutation, j’ai toujours la sensation que tout le
monde se haït, que chaque personne se fait détester.
Ça ne concerne pas uniquement l’ascenseur, bien-sûr. Il y a
cette froideur entre les inconnus, généralement. On est parfois traité ainsi
quand on a besoin d’un service. Une fois, au point de vente de billets de train
de l’aéroport Pudong à Shanghai, la personne dit brusquement « aller
où ? », sans sortir sa tête de derrière l’ordinateur. J’ai mis un
instant à réaliser qu’elle commença à me servir.
Pas de salutation (aux inconnus), pas de phrase inutile, cela crée une efficacité,
certes. Ça économise cinq ou dix secondes et ne fatigue pas les gens pour rien.
Dans un des quartiers asiatiques – Belleville, j’ai l’impression que certains
vendeurs ou serveurs ont l’air énervés par des clients français qui disent trop
de « merci » et « s’il vous plaît ».
J’ai un ami français qui est un professeur retraité en
urbanisme. Chaque année il va donner quelques semaines de cours en Chine et il
y participe aussi à certains projets d’urbanisation. Je trouve que c’est
« fatigant » de faire la bise ou de serrer les mains à chaque
personne présente, alors que lui, il trouve qu’en Chine les gens paraissent
parfois s’ignorer, comme si les autres n’existent pas. Un exemple, on se trouve
dans une salle pour une réunion. Une personne entre et peut aller directement
s’asseoir à une place sans voir d’autres. Ensuite, il peut garder la tête
baissée sur son téléphone ou sur son journal, ou bien il parle aux personnes à
côté, ou bien il jette un coup d’œil à la salle pour savoir qu’il y a. Je lui
dis que seulement quelqu’un d’ « important » salue tout le monde
et que si quelqu’un d’ « ordinaire » fait pareil, les autres le
trouveraient bizarre, en se disant « tu te prends pour qui ». J’en
déduirais : en Chine, l’identité d’une personne n’est pas son existence,
mais son titre et son rôle.
En France, selon mon observation, si les visiteurs et
touristes n’ont pas cette conscience d’attribuer l’attention à l’autre, ils
paraissent très impolis. Une fois, j’ai fait un petit boulot : accompagner
quelques patrons chinois en France pour une foire de textile. Ils ont participé
à la foire et ont aussi fait du grand shopping à la galerie Lafayette. Ce
jour-là j’ai entièrement ressenti chez eux la désinvolture causée par le manque
d’attention attribué aux gens, et sincèrement j’avais honte pour eux. Cette
honte n’était pas partagée par eux-mêmes, car ils ne regardaient rien d’autres
que les marchandises.
Dans le hall de la foire, si on faisait un peu d’attention,
on voyait très vite qu’en se rapprochant d’un stand, la première chose était de
regarder le personnel, le saluer et demander si on pouvait regarder. Si la
personne était libre elle nous recevrait ; sinon on nous demanderait de
patienter un peu. Pour regarder les échantillons (de tissu), c’était le
personnel qui nous en apporterait. Mais, les personnes que j’accompagnais ne
voulaient absolument faire comme ça. La première possibilité, ils ne s’en
rendaient pas compte, n’avaient pas la conscience ; la deuxième
possibilité, ils ne pouvaient pas attendre, voulaient aller très vite, ne
pouvaient pas gaspiller une seule
seconde. Peut-être leur logique est ainsi : à quoi bon de paraître poli ? Ça ne m’apporte rien !
Alors, chaque fois je m’occupais de saluer le personnel par
le regard et par le « bonjour », pour donner bel et bien l’impression
qu’on n’était pas de purs barbares, mais pendant ce temps les personnes que
j’accompagnais allaient directement vers les objets exposés, fouillaient les
échantillons. Des fois j’étais en train de demander au personnel si on pouvait
regarder, mes patrons l’avaient déjà fait et allaient repartir sans moi. Je
devais abandonner tout de suite le personnel pour les suivre. Quelle
efficacité !
Pareil à la galerie Lafayette. Les patrons avaient dans leur
poche plein de gros billets d’euro. Les clients sont les dieux, surtout des
clients qui ne manquent pas d’argent. Mes dieux, comme d’habitude, ignoraient
le regard et la salutation des vendeurs et vendeuses, allaient directement toucher
les marchandises et, si intéressés, sortaient un « How much ? ».
La galerie Lafayette était remplie de monde, devenue une foire des touristes
étrangers, dont une grande quantité de touristes chinois. Dans le flot humain
mes dieux ne se faisaient pas remarquer, alors qu’au magasin Printemps qui
était bien plus calme, il y avait des vendeurs et vendeuses libres qui avaient
le temps d’ « admirer » mes patrons. Je n’ai pas senti la gloire
d’être à côté des compatriotes de richesse, mais bien au contraire. J’ai même
décidé de ne plus refaire ce genre de petit boulot. Cette expérience est gardée dans ma tête comme un exemple très négatif concernant un genre de compatriotes.
Chaque année j’évoque la question de politesse avec des
étudiants. Je leur demande s’ils trouvent les Chinois polis et quelle est la
différence culturelle de la politesse entre les Chinois et les Français. Parmi
eux, certains disent que les Chinois sont plus polis que les Français, d’autres
disent le contraire. Il y a différentes angles de voir les choses. Il y a un
point approuvé par eux tous et moi : les Chinois peuvent être très polis
et aussi ne pas l’être ; une même personne peut être très polie et ne pas
l’être. On est peut-être poli envers les gens qu’on connaît, mais malpoli
envers des gens qu’on ne connaît pas ou bien des gens « sans
importance ». Je pense que les Chinois ont un aspect pragmatique, y
compris pour la politesse. Ainsi, la politesse devient un outil et un accessoire de théâtre, à utiliser quand
on a « besoin ». Devant des inconnus et des gens « sans
importance », on n’a pas « besoin » de l’utiliser.
Pour conclure tout ce que je viens de dire : à
l’étranger, si vous espérez vous comporter poliment, commencez par faire
attention à l’autre. C’est un point simple et pas simple ; l’important est
d’avoir cette conscience. Ce n’est pas simple car cela touche la question de
valeur : à chaque être humain,
qu’il ait ou non le pouvoir ou la richesse, il faut attribuer la valeur et le
respect.
Par extension, nous pouvons aussi nous demander qui est plus
« chaleureux », les Chinois ou les Français : certains disent
les premiers, d’autres disent les derniers. A mon avis c’est « chacun sa
raison » (公说公有理,婆说婆有理 Papy dit que c’est lui
qui a raison, mamy dit que c’est elle qui a raison) et ce n’est qu’une
différence de vision. On a dit plus haut qu’en Chine les inconnus ont la
tendance de s’ignorer. Si on n’est pas habitué à ça, on peut dire que c’est une
grande indifférence entre les gens (quand on est habitué, ce n’est plus gênant
peut-être). En Occident, il y a en général un minimum d’attention et de
salutation entre les gens. De ce point de vue, on dirait que les Chinois sont
« froids » et que les Occidentaux sont « chaleureux ».
Alors que les Chinois ont leur façon d’être
« chaleureux » et qu’en Occident il y a une certaine indifférence
issue de l’individualisme. Mais bon, l’individualisme est la tendance
universelle, il semble. Comparons les Chinois d’aujourd’hui et il y a des
décennies, ou les Chinois de ville et ceux de campagne, on remarquerait que les
Chinois de nos jours sont bien individualistes.
En France, les inconnus peuvent facilement se dire
« bonjour », mais ça ne signifie pas qu’il y a facilement une
communication entre deux personnes. Après avoir dit « bonjour » ou,
si on se connaît, après avoir dit « bonjour » et « ça va ? »,
que fait-on ? Et puis on peut parler du temps. Ensuite viennent des
obstacles, car si on continue on risque de toucher des sujets personnels de
chacun. Entre les Chinois, soit ils ne se parlent pas, soit ils se mettent à
parler et, après quelques minutes de conversation, ils savent où l’autre
travaille, quel est son métier, s’il est marié, s’il a des enfants, dans quel
genre d’appartement il habite, etc. Notamment dans des « petits
endroits 小地方»
(c’est-à-dire, des petites villes ou la campagne), les premières questions
peuvent être : Tu gagnes combien par mois ? Tu es marié
j’espère ? Comment ça se fait que tu n’es toujours pas marié ? Il
faut penser à faire un enfant hein ? Lors de mon chaque retour, presque
tous les jours on me demande mon salaire. Puisque je vis à l’étranger, on
s’intéresse beaucoup à mon salaire. Mais le mien est vraiment sobre – j’ai beau
être à l’étranger - et je perdrais la face si je le dis, donc chaque fois
j’essaie de tergiverser pour ne pas l’avouer.
En France, bien-sûr il ne faut pas poser ce genre de
questions, même entre les membres de famille. Maintenant je n’ose même plus
demander « où habitent vos parents / où est votre famille », car
plusieurs fois la personne en face, après une hésitation, était obligée de me
confier que ses parents avaient divorcé (il semble que le taux de divorce
atteint 50%, au moins à Paris ?), l’un habite à l’est et l’autre à
l’ouest. Je n’étais pas assez proche pour qu’elle me raconte ça, une
« simple » question sur son origine lui avait imposé cette
explication. En Chine, « Où est ton pays natal / tu viens d’où » est
souvent l’ouverture de la conversation. Dans les trains, quand on veut papoter
avec les voisins on demande souvent « Tu vas où » ou « Tu es
d’où ». Si vous faites pareil en France vous allez surprendre les gens et
on se demanderait ce que vous voulez. En France, les wagons de train sont bien
calmes (si on connaît l’ambiance des wagons en Chine, on voit la différence.
Mais bon, avec les nouvelles générations qui ne quittent plus leur petit écran
des yeux, ça change un peu. ) et peu de gens abordent des inconnus.
Ne pas aborder des questions « privées », le
mauvais côté est que vous pouvez sentir un blocage de communication et une
distance entre les gens ; le bon côté est que vous n’êtes pas interrogés
sur le salaire, que les proches ne peuvent pas vous harceler pour demander quand vous allez vous trouver un petit-ami,
quand vous allez vous marier et quand vous allez avoir un enfant. C’est
pourquoi on dit que tout a un bon côté
et un mauvais côté, que rien n’est parfait.
Comme pour tout autre sujet interculturel, la meilleure
conclusion de la comparaison sur « chaleureux / indifférent »
doit être : c’est différent !
Être chaleureux dans quelles circonstances ? Comment être chaleureux ?
Tout ça est différent.
"Comme pour tout autre sujet interculturel, la meilleure conclusion de la comparaison sur « chaleureux / indifférent » doit être : c’est différent ! Être chaleureux dans quelles circonstances ? Comment être chaleureux ? Tout ça est différent." Parfois, je crois qu'il ne faut même pas essayer de comprendre, il vaut mieux regarder, se laisser imprégner sans mettre la boîte à réfléchir en marche. Vos descriptions sont un délice!
RépondreSupprimerMerci. Je suis d'accord.
SupprimerMerci également pour vos descriptions. J'atterris sur votre mail après avoir pris l'ascenseur pour rentrer chez moi à Pudong, et c'est une remarque que je me fait en permanence. Bon, dans un ascenseur, ne pas regarder les autres, c'est pas trop grave, mais quant on est en famille à trois sur un scooter électrique et qu'on traverse Century Avenue comme si on était seul au monde alors qu'il y a une armada de voitures et de bus qui déboulent en face, là, ce n'est pas une bonne idée du tout.
RépondreSupprimerAutre aspect qui me vient à l'esprit, la valeur et la richesse attribuées à autrui, comme vous le dites si justement, elle se ressent je pense de manière assez similaire chez les êtres humains, mais les variations culturelles peuvent être immenses. Dans ce cas, c'est le culturo-centrisme qui met tout par terre ;-) Merci encore pour ce joli texte.
Merci pour votre commentaire. ça me motive à poursuivre le sujet dans mon blog. En fait, j'ai écrit plus de 80 pages en chinois et suis en train de le traduire en français. A plus!
SupprimerVous avez un vocabulaire très riche !
RépondreSupprimerJe suis d'accord avec vous. Le "Salut, ca va" peut être gênant car il signifie qu'on engage un contact avec l'autre personne mais on n'a pas toujours la possibilité d'approfondir la relation.
Je ne savais pas qu'on pouvait être aussi "indiscret" quand on rencontre quelqu'un en Chine. Merci du renseignement !