vendredi 30 janvier 2015

"Une Chinoise en France": 1.1 Faire attention aux gens

SHU Changying 舒长瑛 

"Une Chinoise en France" - Vision comparative des cultures sino-française (et sino-occidentale)

A publier en épisodes; traduits au fur et à mesure de ce que j'ai écrit en chinois

Et, si ça peut vous aider à mieux saisir ma position, je m'imagine m'adresser à mes compatriotes.... ;-)

Il est défendu d'utiliser le contenu sans mon accord ou sans préciser la source.
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1. La différence culturelle dans la salutation
1.1 Faire attention aux gens

La salutation commence par faire attention à l’autre, à chaque personne présente. C’est un point fondamental pour moi, mais ignoré par beaucoup de Chinois.

En Chine, on est habitué à ignorer les inconnus. Quand on entre dans un ascenseur on ne regarde pas les personnes dedans ; au magasin on va directement vers les choses qui nous intéressent sans regarder le vendeur ; quand on passe à la caisse au supermarché, on regarde justement combien il faut payer, et puis payer et partir, sans savoir à quoi ressemble le caissier. Tout le monde fait comme ça et tu es traité de « bizarre » ou « « encroûté » si tu ne fais pas pareil.

Il y a quelques années, lors de mon premier retour en Chine, en entrant dans un ascenseur j’ai lancé un sourire global (envers tout le public). Il y avait un couple, dont la femme a regardé alternativement son mari et moi avec méfiance, doutant que je le connaissais, et puis m’a jeté un œil blanc (pour elle je draguais…). J’ai vite compris la gravité des choses et, dès lors, faisais une tête froide chaque fois quand j’entrais dans un ascenseur. Sans ce léger sourire comme salutation, j’ai toujours la sensation que tout le monde se haït, que chaque personne se fait détester.

Ça ne concerne pas uniquement l’ascenseur, bien-sûr. Il y a cette froideur entre les inconnus, généralement. On est parfois traité ainsi quand on a besoin d’un service. Une fois, au point de vente de billets de train de l’aéroport Pudong à Shanghai, la personne dit brusquement « aller où ? », sans sortir sa tête de derrière l’ordinateur. J’ai mis un instant à réaliser qu’elle commença à me servir.

Pas de salutation (aux inconnus), pas de phrase inutile, cela crée une efficacité, certes. Ça économise cinq ou dix secondes et ne fatigue pas les gens pour rien. Dans un des quartiers asiatiques – Belleville, j’ai l’impression que certains vendeurs ou serveurs ont l’air énervés par des clients français qui disent trop de « merci » et « s’il vous plaît ».

J’ai un ami français qui est un professeur retraité en urbanisme. Chaque année il va donner quelques semaines de cours en Chine et il y participe aussi à certains projets d’urbanisation. Je trouve que c’est « fatigant » de faire la bise ou de serrer les mains à chaque personne présente, alors que lui, il trouve qu’en Chine les gens paraissent parfois s’ignorer, comme si les autres n’existent pas. Un exemple, on se trouve dans une salle pour une réunion. Une personne entre et peut aller directement s’asseoir à une place sans voir d’autres. Ensuite, il peut garder la tête baissée sur son téléphone ou sur son journal, ou bien il parle aux personnes à côté, ou bien il jette un coup d’œil à la salle pour savoir qu’il y a. Je lui dis que seulement quelqu’un d’ « important » salue tout le monde et que si quelqu’un d’ « ordinaire » fait pareil, les autres le trouveraient bizarre, en se disant « tu te prends pour qui ». J’en déduirais : en Chine, l’identité d’une personne n’est pas son existence, mais son titre et son rôle.

En France, selon mon observation, si les visiteurs et touristes n’ont pas cette conscience d’attribuer l’attention à l’autre, ils paraissent très impolis. Une fois, j’ai fait un petit boulot : accompagner quelques patrons chinois en France pour une foire de textile. Ils ont participé à la foire et ont aussi fait du grand shopping à la galerie Lafayette. Ce jour-là j’ai entièrement ressenti chez eux la désinvolture causée par le manque d’attention attribué aux gens, et sincèrement j’avais honte pour eux. Cette honte n’était pas partagée par eux-mêmes, car ils ne regardaient rien d’autres que les marchandises.

Dans le hall de la foire, si on faisait un peu d’attention, on voyait très vite qu’en se rapprochant d’un stand, la première chose était de regarder le personnel, le saluer et demander si on pouvait regarder. Si la personne était libre elle nous recevrait ; sinon on nous demanderait de patienter un peu. Pour regarder les échantillons (de tissu), c’était le personnel qui nous en apporterait. Mais, les personnes que j’accompagnais ne voulaient absolument faire comme ça. La première possibilité, ils ne s’en rendaient pas compte, n’avaient pas la conscience ; la deuxième possibilité, ils ne pouvaient pas attendre, voulaient aller très vite, ne pouvaient pas gaspiller une seule seconde. Peut-être leur logique est ainsi : à quoi bon de paraître poli ? Ça ne m’apporte rien !

Alors, chaque fois je m’occupais de saluer le personnel par le regard et par le « bonjour », pour donner bel et bien l’impression qu’on n’était pas de purs barbares, mais pendant ce temps les personnes que j’accompagnais allaient directement vers les objets exposés, fouillaient les échantillons. Des fois j’étais en train de demander au personnel si on pouvait regarder, mes patrons l’avaient déjà fait et allaient repartir sans moi. Je devais abandonner tout de suite le personnel pour les suivre. Quelle efficacité !

Pareil à la galerie Lafayette. Les patrons avaient dans leur poche plein de gros billets d’euro. Les clients sont les dieux, surtout des clients qui ne manquent pas d’argent. Mes dieux, comme d’habitude, ignoraient le regard et la salutation des vendeurs et vendeuses, allaient directement toucher les marchandises et, si intéressés, sortaient un « How much ? ». La galerie Lafayette était remplie de monde, devenue une foire des touristes étrangers, dont une grande quantité de touristes chinois. Dans le flot humain mes dieux ne se faisaient pas remarquer, alors qu’au magasin Printemps qui était bien plus calme, il y avait des vendeurs et vendeuses libres qui avaient le temps d’ « admirer » mes patrons. Je n’ai pas senti la gloire d’être à côté des compatriotes de richesse, mais bien au contraire. J’ai même décidé de ne plus refaire ce genre de petit boulot. Cette expérience est gardée dans ma tête comme un exemple très négatif concernant un genre de compatriotes.

Chaque année j’évoque la question de politesse avec des étudiants. Je leur demande s’ils trouvent les Chinois polis et quelle est la différence culturelle de la politesse entre les Chinois et les Français. Parmi eux, certains disent que les Chinois sont plus polis que les Français, d’autres disent le contraire. Il y a différentes angles de voir les choses. Il y a un point approuvé par eux tous et moi : les Chinois peuvent être très polis et aussi ne pas l’être ; une même personne peut être très polie et ne pas l’être. On est peut-être poli envers les gens qu’on connaît, mais malpoli envers des gens qu’on ne connaît pas ou bien des gens « sans importance ». Je pense que les Chinois ont un aspect pragmatique, y compris pour la politesse. Ainsi, la politesse devient un outil et un accessoire de théâtre, à utiliser quand on a « besoin ». Devant des inconnus et des gens « sans importance », on n’a pas « besoin » de l’utiliser.

Pour conclure tout ce que je viens de dire : à l’étranger, si vous espérez vous comporter poliment, commencez par faire attention à l’autre. C’est un point simple et pas simple ; l’important est d’avoir cette conscience. Ce n’est pas simple car cela touche la question de valeur : à chaque être humain, qu’il ait ou non le pouvoir ou la richesse, il faut attribuer la valeur et le respect.

Par extension, nous pouvons aussi nous demander qui est plus « chaleureux », les Chinois ou les Français : certains disent les premiers, d’autres disent les derniers. A mon avis c’est « chacun sa raison » (公说公有理,婆说婆有理 Papy dit que c’est lui qui a raison, mamy dit que c’est elle qui a raison) et ce n’est qu’une différence de vision. On a dit plus haut qu’en Chine les inconnus ont la tendance de s’ignorer. Si on n’est pas habitué à ça, on peut dire que c’est une grande indifférence entre les gens (quand on est habitué, ce n’est plus gênant peut-être). En Occident, il y a en général un minimum d’attention et de salutation entre les gens. De ce point de vue, on dirait que les Chinois sont « froids » et que les Occidentaux sont « chaleureux ».

Alors que les Chinois ont leur façon d’être « chaleureux » et qu’en Occident il y a une certaine indifférence issue de l’individualisme. Mais bon, l’individualisme est la tendance universelle, il semble. Comparons les Chinois d’aujourd’hui et il y a des décennies, ou les Chinois de ville et ceux de campagne, on remarquerait que les Chinois de nos jours sont bien individualistes.

En France, les inconnus peuvent facilement se dire « bonjour », mais ça ne signifie pas qu’il y a facilement une communication entre deux personnes. Après avoir dit « bonjour » ou, si on se connaît, après avoir dit « bonjour » et « ça va ? », que fait-on ? Et puis on peut parler du temps. Ensuite viennent des obstacles, car si on continue on risque de toucher des sujets personnels de chacun. Entre les Chinois, soit ils ne se parlent pas, soit ils se mettent à parler et, après quelques minutes de conversation, ils savent où l’autre travaille, quel est son métier, s’il est marié, s’il a des enfants, dans quel genre d’appartement il habite, etc. Notamment dans des « petits endroits 小地方» (c’est-à-dire, des petites villes ou la campagne), les premières questions peuvent être : Tu gagnes combien par mois ? Tu es marié j’espère ? Comment ça se fait que tu n’es toujours pas marié ? Il faut penser à faire un enfant hein ? Lors de mon chaque retour, presque tous les jours on me demande mon salaire. Puisque je vis à l’étranger, on s’intéresse beaucoup à mon salaire. Mais le mien est vraiment sobre – j’ai beau être à l’étranger - et je perdrais la face si je le dis, donc chaque fois j’essaie de tergiverser pour ne pas l’avouer.

En France, bien-sûr il ne faut pas poser ce genre de questions, même entre les membres de famille. Maintenant je n’ose même plus demander « où habitent vos parents / où est votre famille », car plusieurs fois la personne en face, après une hésitation, était obligée de me confier que ses parents avaient divorcé (il semble que le taux de divorce atteint 50%, au moins à Paris ?), l’un habite à l’est et l’autre à l’ouest. Je n’étais pas assez proche pour qu’elle me raconte ça, une « simple » question sur son origine lui avait imposé cette explication. En Chine, « Où est ton pays natal / tu viens d’où » est souvent l’ouverture de la conversation. Dans les trains, quand on veut papoter avec les voisins on demande souvent « Tu vas où » ou « Tu es d’où ». Si vous faites pareil en France vous allez surprendre les gens et on se demanderait ce que vous voulez. En France, les wagons de train sont bien calmes (si on connaît l’ambiance des wagons en Chine, on voit la différence. Mais bon, avec les nouvelles générations qui ne quittent plus leur petit écran des yeux, ça change un peu. ) et peu de gens abordent des inconnus.

Ne pas aborder des questions « privées », le mauvais côté est que vous pouvez sentir un blocage de communication et une distance entre les gens ; le bon côté est que vous n’êtes pas interrogés sur le salaire, que les proches ne peuvent pas vous harceler pour demander quand vous allez vous trouver un petit-ami, quand vous allez vous marier et quand vous allez avoir un enfant. C’est pourquoi on dit que tout a un bon côté et un mauvais côté, que rien n’est parfait.

Comme pour tout autre sujet interculturel, la meilleure conclusion de la comparaison sur « chaleureux / indifférent » doit être : c’est différent ! Être chaleureux dans quelles circonstances ? Comment être chaleureux ? Tout ça est différent.

mercredi 28 janvier 2015

mardi 27 janvier 2015

Création d'un e-magazine


Voir l'explication du projet ci-dessous 
[ou bien directement ici:

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Readers’ tea-time

Rassembler des petites œuvres écrites et créer un espace – gratuit, ouvert, instructif - de lecture, de partage et de repos spirituel

Types d’œuvres (en français ; écrites ou traduites): 
- Toutes sortes de courtes œuvres littéraires : nouvelles, poésie, textes de théâtre….
- Récits : de souvenirs, de voyage, ….
- Idées : vie, philosophie, société, écologie, économie, histoire, nature….
- Dessins humoristiques ou philosophiques
Le magazine se veut diversifié, instructif et reposant! 

Pourquoi vous contribuez ?
- Partager et échanger des petites créations littéraires, idées, émotions, …. avec des auteurs et lecteurs, nous espérons, de plus en plus nombreux.
- La publication d’une sélection d’œuvres de qualité est envisageable plus tard.

Pourquoi je le fais ?
- Créer, avec vos contributions et votre participation, un espace de partage réunissant des personnes pour qui savourer de beaux textes et de belles idées est un agréable passe-temps pour les moments de repos: avant de s'endormir, un dimanche après-midi, au bord de l'eau, ...

Comment ça marche ?

- Vous m’envoyez votre texte (à : yushanren77@gmail.com); je le publie si je le juge correspondre au concept de notre e-magazine.
- La publication est effectuée au fur et à mesure des réceptions des textes, donc en continu tant que les contributions le permettent.
- Vous recevez un mél qui vous avertit la publication de votre texte.
- Nous privilégions des publications courtes, dont le nombre de mots ne dépasse pas 1200 mots (pour des textes plus longs de qualité, possible de le couper en deux ou trois volumes).
- Vous mettez 1-3 mots-clés : nos lecteurs ne liront peut-être pas tout le site et pourront choisir selon son centre d'intérêt et son humour.
- Vous joignez votre nom et prénom (ou un nom de plume, comme vous voulez), votre adresse mél et votre site web si vous en avez et si vous voulez le partager.
- S’il s’agit d’une traduction, soyez sûr que vous avez le droit et précisez la référence source.


Votre texte peut se présenter ainsi :

Titre

Nom et prénom
(Nom à afficher : si différent de votre vrai nom)
Mots-clés

TEXTE

Mél (visible pour le public : oui / non)
Siteweb (visite pour le public : oui/non)

lundi 26 janvier 2015

Un poème: 夜行黄沙道中 du poète XIN Qiji

夜行黄沙道中 (le titre)
辛弃疾 (le poète; 1140-1207)

明月别枝惊鹊,
清风半夜鸣蝉.
稻花香里说丰年,
听取蛙声一片.

七八个星天外,
两三点雨山前.
旧时茅店社林边.
路转溪桥忽见.


Genre de poème : 西江月Xijiangyue 

1/ Traduction mot-à-mot
Titre : 夜行黄沙道中
Nuit – marcher ; faire la route – jaune – sable – route

Poète : 辛弃疾XIN Qiji

明月别枝惊鹊,
Clair – lune – quitter ; partir de – branche – surprendre – pie
清风半夜鸣蝉.
limpide – vent – demi – nuit – crier ; chanter – cigale
稻花香里说丰年,
Rizière – fleur – parfum – dans – parler (de) – plein ; abondant – an
听取蛙声一片.
Écouter – prendre – grenouille – bruit ; son – un – (classificateur) vaste étendue

七八个星天外,
Sept – huit – (classificateur) pian – étoile – ciel – dehors
两三点雨山前.
Deux – trois – (classificateur) point – pluie – montagne – devant
旧时茅店社林边.
Ancien – temps – paille – boutique ; auberge – association ; hôtel – bois – côté
路转溪桥忽见.
Chemin – tourner – rivière – pont – soudain – voir.

2/ Traduction en phrases

Voyage nocturne sur une route de sable jaune

La lune claire se lève des branches, surprenant les pies,
Le vent doux soufflant à minuit, les cigales chantent.
Dans le parfum des franges des rizières, les villageois parlent de la récolte à venir,
accompagnés par la chorale des grenouilles.

Dans le ciel, sept ou huit étoiles,
Devant les montagnes, deux ou trois gouttes de pluie.
Mon auberge se trouvait près d’un bois, si je me souviens,
Après le pont sur le ruisseau, je l’aperçois soudainement.

3/ Petite note
Comme l’ensemble de la poésie chinoise, ce poème dégage une grande simplicité. Le poète-je qui chercherait, un soir, une auberge rustique admire et peint (un poème classique chinois est très souvent un tableau : le lecteur a l’impression de voir la scène en lisant les vers) les paysages et la gaieté campagnards avant de trouver son abri.

Interprétation de Liu (membre du forum Lechinatown):
Voyage nocturne sur un chemin de sable jaune

La lune claire n’effraie pas la pie sur sa branche
La cigale chante distinctement dans la brise de la nuit,
Le parfum des fleurs de riz présage d’une bonne récolte,
Je perçois le bruit des grenouilles qui se jettent à l’eau,

Les étoiles parsèment le ciel,
La pluie effleure la montagne,
La vieille auberge du roseau à l’orée du bois,
J’aperçois soudain le ruisseau qui serpente sous le pont.


Interprétation de Gangounet (membre du forum Lechinatown):

Dans la première partie le vers à souligner est le troisième : la joie de voir de bonnes récoltes se présager. C’est pourquoi le poète anime la nuit, normalement calme et silencieuse. Et je comprends le troisième vers comme la personnification des grenouilles.
Le clair de lune quitte les branches, faisant voler les pies;
La légère brise de minuit porte le chant des cigales.
Au milieu de cette bonne odeur de riz, elles parlent des bonnes récoltes à venir,
Ces grenouilles qui croassent en choeur.

Dans la seconde partie, on voit que le voyage est bientôt terminé (enfin, en tous cas la nuit touche à sa fin. On voit ça avec le cinquième vers : il ne reste que quelques étoiles) et une averse s’annonce. Le poète cherche apparemment un abri qu’il connaissait et finalement le trouve au détour de la rivière.
Quelques étoiles brillent encore au ciel,*
Tandis que des gouttes mouillent le pied de la montagne.
Où est donc cet abri que je croyais près de ce bois ?
Ah, je le vois au détour de la rivière.
 * : finalement, je ne pense plus que les étoiles annoncent le lever du jour, c’est tout simplement parce qu’il va bientôt pleuvoir que le ciel s’assombrit. 



"Une Chinoise en France" : avant-propos

SHU Changying 舒长瑛 

"Une Chinoise en France" - Vision comparative des cultures sino-française (et sino-occidentale)

A publier en épisodes; traduits au fur et à mesure de ce que j'ai écrit en chinois

Et, si ça peut vous aider à mieux saisir ma position, je m'imagine m'adresser à mes compatriotes.... ;-)

Il est défendu d'utiliser le contenu sans mon accord ou sans préciser la source.
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Avant-propos


Deux points à souligner pour commencer :


Premièrement, l’auteur-je est une Chinoise qui vit en France depuis de nombreuses années, donc le texte prend principalement la France comme référence, mais une partie de contenu concerne plus généralement la communication sino-occidentale. Etant donné l’identité et la position que l’auteur-je se définit, imaginez aussi que les Chinois sont parmi « nous » et Français ou Occidentaux comme « eux ».

Deuxièmement, si on fait entièrement confiance à un livre, cela vaudrait mieux de ne pas avoir le livre » (尽信书则不如无书), dit-on. Un livre, qu’il soit un manuel ou autre, ne doit pas être considéré comme la vérité absolue et sacrée. La naissance d’un livre est le résultat du vécu et du point de vue plus ou moins personnel de l’auteur, il ne peut pas être « absolument juste » et ne peut s’appliquer à tout.

Les lecteurs qui sont familiers avec le contenu de ce livre peuvent le lire en se munissant de leur propre avis ; ceux qui ne sont pas familiers doivent aussi y apporter leur propre réflexion et analyse. S’il y a des questionnements et différents points de vue, il y a des débats qui rendent plus mûres et plus objectives les idées, ainsi verrait-on cent fleurs s’épanouissant en même temps (百花齐放)

L’Orient et l’Occident sont vus comme deux points culturellement opposés et cette vision n’est pas sans raison. Il y a toujours une différence entre deux cultures, mais entre les cultures orientales et occidentales la distance est plus large. C’est pourquoi les Chinois souvent pensent que le décalage culturel entre les pays occidentaux est si infime qu’il n’est pas nécessaire de l’évoquer. Quand ils entendent les Européens comparer la France et l’Allemagne ou bien la France et la Belgique, ils peuvent trouver que ces gens cherchent des problèmes et inventent une soi-disant différence culturelle, alors que la différence culturelle entre l’Orient et l’Occident peut vraiment s’appeler « différence ». Autrement dit, les Chinois mettent le monde « occidental » dans le même panier.

Tout est relatif. Grand ou petit, avoir ou ne pas avoir, c’est relatif.

Un Chinois arrivant en Europe, ou bien un Européen arrivant en Chine, si on dit qu’il tombe sur un autre monde ce n’est pas une exagération. Ce qu’on voit, ce qu’on mange, ce qu’on pense, tout paraît très différent. Et ces différences, on ne peut pas les ressentir tout de suite sans avoir vécu une période dans cet autre monde. Les choses à voir, à entendre et à manger, nous savons assez vite que c’est différent, mais la différence au niveau mental n’est pas perçue par chaque personne.

Savoir qu’il y a des différences, c’est la première étape. C’est-à-dire qu’il faut d’abord avoir la conscience, c’est un premier grand pas. L’étape suivante est d’être curieux, d’être intéressé, d’observer où se trouvent les différences. Et ensuite, réfléchir sur des « pourquoi ». Quand on commence à demander pourquoi et en plus explorer les « pourquoi », on  arrive à une étape fort intéressante.

J’ai choisi le français comme ma discipline universitaire il y a à peu près vingt ans, dès lors, je suis mise sur le chemin de comparaison culturelle sino-occidentale. Quand je travaillais en Chine, même si j’étais dans l’enseignement du français et étais forcément en contact avec la langue et la culture françaises, mais sans être dans le contexte authentique je ne pouvais pas avoir des connaissances vraiment approfondies. J’ai eu la chance d’avoir fait un séjour de deux mois en France, mais avec un regard « touristique » on reste encore au superficiel. Dans le groupe, certains ont eu une bonne entente avec la famille d’accueil, d’autres se sont plaints d’avoir une famille « radine » ou « pas gentille ». Après deux mois, chacun est parti de la France avec son propre vécu qui risque de devenir sa définition du pays. Le vécu et le point de vue personnel sont parfois interprétés avec un ton incontestable comme une théorie autoritaire. N’est-ce pas dangereux ? Voilà pourquoi au début de l’avant-propos je rappelle aux lecteurs que « si on fait entièrement confiance à un livre, cela vaudrait mieux de ne pas avoir le livre » (尽信书则不如无书).

Seulement si on vit DANS une culturel et s’y baigne quotidiennement et sans distance, on peut avoir ses propres visions profondes, réelles et à diverses facettes. Depuis que je vis en France depuis dix ans, j’ai commencé petit à petit à vraiment connaître la France, ou bien à connaître la vraie France. Je n’ai jamais appartenu à une « communauté », par exemple une communauté d’étudiants chinois (aller ensemble aux cours, faire des courses et manger ensemble, suivre des feuilletons ensemble pendant le week-end, voyager ensemble pendant les vacances, passer les fêtes ensemble), ou d’autres communautés patriotiques ou religieuses. J’aurais un côté solitaire et n’aime pas me faire restreindre la pensée. Je peux donc laisser mon esprit vagabonder librement, sans me faire formater  par un sens de clan.

Une vie interculturelle rend l’esprit plus riche et plus large, forme un système de références pluriel. Nous pouvons dire que c’est un plaisir. Mais l’interculturel génère aussi de la souffrance. Cette souffrance varie d’une personne à une autre puisque chacun a ses expériences singulières à lui. Je ne parle pas ici de la souffrance matérielle liée aux conditions de vie, je parle d’une souffrance intellectuelle et mentale. Vous vivez dans un pays étranger où entre vous et les autres il y a une différence culturelle ; vous rentrez dans votre pays, votre ville natale, vous ressentez aussi une différence avec les autres. Vous vous trouvez dans un entre-deux, vous n’êtes ni l’un ni l’autre. Vous faites partie d’un petit clan particulier et il n’y a que ce clan particulier qui vous comprend vraiment. Votre identité rend votre esprit compliqué qui n’est plus comme avant. Donc parfois vous êtes fatigué. 

Je dis qu’il y a une souffrance d’esprit aussi parce que désormais vous êtes toujours en train de comparer, consciemment ou inconsciemment. Pourquoi ils sont comme ça alors que nous sommes comme ça ? Parfois vous trouvez vite votre réponse, parfois vous restez confus. Parfois vous savez que la mentalité que vous serrez dans les bras ne vous convainc pas vraiment mais c’est plus fort que vous. Des fois vous êtes paradoxal vis-à-vis de vous-même et ne savez pas comment faire un choix. Vous débattez avec vous-même et avec d’autres. Vos interlocuteurs portent diverses positions et visions. Avoir des dialogues où l’objectivité et la sagesse brillent est fort plaisant, à ce moment vous vous ouvrez. Mais à d’autres moments vous heurtez des points de vue étroits ou antipathiques, ce qui fait que vous repliez.

Je pense avoir une certaine sensibilité pour la communication interculturelle. Comme ce que j’ai dit en haut, premièrement avoir la conscience de la différence, deuxièmement chercher les « pourquoi ». Pendant les années où j’ai enseigné le chinois à l’université, j’aimais bien discuter sur les plaisirs et les difficultés de la communication interculturelle avec les étudiants, notamment ceux en Master. Ils apprenaient le chinois depuis trois ou quatre ans, la plupart avaient étudié et vécu en Chine. Nos discussions étaient donc dans les deux sens : une Chinoise en France et des Français connaissant plus ou moins la Chine. Aujourd’hui, ma vie personnelle est biculturelle, où immergés chaque repas, chaque comportement et chaque conversation.

Je pense, à travers l’écriture, clarifier et organiser mon ressenti, ma réflexion et mon vécu de cette dizaine d’années, d’une part, comme une accrétion sédimentaire des idées, d’autre part pour partager et échanger avec d’autres personnes du « club ». De plus, l’écriture est un processus de maturation d’esprit et aussi un processus où on interroge et revoit sa propre pensée.

La communication interculturelle est stressante dans certaines circonstances, comme s’il faut « marcher sur une fine couche de glace » (如履薄冰). Pour se préparer on peut lire des livres ou même s’inscrire à une formation. Les entreprises paient parfois un expert pour former leurs employés en contact avec des étrangers, les aider à concevoir leur comportement et parole, les avertir des points importants à retenir. Les formés notent tous ces points pour plus tard les appliquer.

C’est bien de se préparer et l’utilité d’une formation dépend de la méthode du formateur et de la réception du formé. J’ai l’impression que beaucoup de formations traitent des éléments formels et superficiels. On vient suivre un cours parce qu’on pense ne pas être capable de gérer aisément des contacts interculturels, il ne suffit pas de leur jeter le contenu emballé dans des termes et des théories tout prêts et figés. Le sens d’augmenter sa compétence interculturelle consiste à dépasser et casser ces éléments prêts et figés, autrement dit, des « stéréotypes », « clichés », « préjugés » et « idées reçues ». On risque souvent de dire « les Chinois sont comme ça », « les Français sont comme là ». Comme dit l’expression « Les neuf fils du dragon se diffèrent l’un de l’autre » (龙生九子, 各有不同), même les enfants de la même famille ont chacun ses caractères, comment pouvons-nous définir toute une nation si facilement ? Si on vous demande « comment sont les Chinois », vous ne saurez pas répondre, alors pouvons-nous dire en quelques simples mots comment sont les Français ou les Américains ?

Je pense que la compétence interculturelle repose sur la formation d’une réflexion et d’une capacité de distinction indépendantes. Il ne faut pas se satisfaire des opinions reçus et non plus lancer nos opinions personnelles à d’autres. Nous avons à réduire la distance, casser les murs, raisonner par notre tête et ressentir par notre cœur, rechercher les points communs tout en respectant les points différents.

Ce que nous recherchons, c’est la compréhension, la compréhension dans les deux sens.

Cet avant-propos peut sentir théorique, mais le corps principal qui va suivre sera en grande partie énonciatif, laissant la parole aux expériences réelles et au ressenti. Je me baserai sur des éléments de la vie quotidienne, sans cibler spécifiquement le milieu politique ou le milieu de business. Connaître et comprendre la différence culturelle dans la vie dite ordinaire est le point de départ, sans lequel il est impossible de construire « un palais dans le ciel » (空中楼阁) en traitant directement un milieu spécialisé.


Je n’ai pas fait d’interviews avant d’écrire ce texte. Je n’ai pas comme objectif de rédiger un ouvrage scientifique en sociologie, mais de mettre par écrit du vécu et du senti. A la fin, je vais dire une phrase qui paraît très conventionnelle et rituelle, mais est tout à fait sincère : Mes connaissances et expériences ont des limites, mes opinions peuvent manquer de rigueur, des remarques et des débats sont les bienvenus.