jeudi 5 février 2015

"Une Chinoise en France": 1.2 "Bonjour! ça va?"

SHU Changying 舒长瑛 

"Une Chinoise en France" - Vision comparative des cultures sino-française (et sino-occidentale)

A publier en épisodes; traduits au fur et à mesure de ce que j'ai écrit en chinois

Et, si ça peut vous aider à mieux saisir ma position, je m'imagine m'adresser à mes compatriotes.... ;-)

Il est défendu d'utiliser le contenu sans mon accord ou sans préciser la source.
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1. La différence culturelle dans la salutation


1.2 « Bonjour ! Ça va ? »

« Ni hao / Bonjour / Hello / …. », cela paraît la façon universelle de saluer les gens. C’est presque incontestable, mais en réalité tout le monde ne salue pas les gens comme ça. En Chine, il y a le fameux « Avez-vous mangé ? ». Certains étrangers pensent que c’est ça la salutation traditionnelle chinoise. C’est réducteur, donc faussé, de penser ainsi. On demande « avez-vous mangé ? » uniquement autour des heures des repas. Si vous saluez quelqu’un avec cette question à dix heures du matin ou quatre heures de l’après-midi, la personne est surprise. Nous avons beaucoup de salutations particulières à la personne et à la circonstance : Vous vous promenez ? Vous lavez votre voiture ? Vous cherchez votre enfant ? Vous faites des courses ? Vous allez où ? Ah vous avez très bonne mine ! Etc. Si nous transférons ces salutations dans une autre langue dans un autre pays, ça deviendrait incompréhensible.

Dans ma petite (à l’envergure chinoise) ville natale, beaucoup de gens n’ont jamais dit « ni hao » dans leur vie et utilisent des salutations à la chinoise que nous venons de citer. Vous pouvez croire que c’est « trop facile » (de saluer les gens en disant « bonjour » ou l’équivalent en d’autres langues) pour ceux qui ont à communiquer avec des étrangers, alors que ça ne va pas de soi pour tout le monde. Une fois, à l’aéroport Charles de Gaule, un employé s’est fâché contre un vieux couple chinois mais les deux Chinois ne savaient peut-être pas, en tout cas ne savaient pas pourquoi.

Voici ce qui s’est passé. Au guichet, l’employé a dit « bonjour » ; le couple chinois, avec un grand sourire sur le visage, a donné leur passeport sans rien dire. L’employé a redit « bonjour », le couple souriait toujours et s’inclinait légèrement. L’employé n’acceptait pas cela, il a arrêté son affaire et demandé au couple chinois s’il parlait français. Ce dernier a approuvé d’un signe de tête. Le Français dit : vous savez parler français, donc vous savez dire « bonjour », pourquoi vous ne dites pas bonjour ? La réaction du couple chinois : grand sourire, encore et toujours (dans ce sourire, à part la salutation, il y a maintenant de la reconnaissance pour le service et des excuses d’avoir mis l’employé en colère). L’autre a fini par abandonner et laisser passer le couple qui n'a toujours pas dit « bonjour ».

J’étais juste derrière le couple chinois et trouvais l’employé français « inflexible » et « stéréotypé » : tout ce sourire ne vaut-il pas un « bonjour » ?! Mais en Occident, il faut DIRE les formules de politesse pour être poli ; même si votre visage est plein de sincérité et de sourire, si vous ne dites pas les mots-clés, comme « bonjour » ou « merci », vous êtes traité de malpoli. Une culture a ses « codes », la meilleure solution est de s’adapter.

Les Chinois recherchent « l’intention », l’intention de remercier, d’aimer, de s’excuser, etc. L’intention suffit, la parole est parfois superflue. Les formules de politesse donnent le sentiment de distance et nuisent à la sincérité de l’intention.

Une plus grande importance est attribuée à la parole chez les Occidentaux. L’expression des sentiments, y compris les salutations, est en grande partie verbalisée, en tout cas il faut la part verbalisée. Par exemple, pour exprimer la reconnaissance, c’est le « merci », qu’on dit sans cesse, si « abusivement » qu’il n’a parfois plus de sens mais il ne faut pas l’omettre pour autant ; il est devenu un des sons qu’on produit machinalement et instinctivement. Chez les Chinois, la reconnaissance n’est pas toujours exprimée par le mot « xiexie ». Entre les proches, par exemple dans le couple, entre parents et enfants, on ne dit pas chaque fois « xiexie ». La reconnaissance est dans ton sourire, dans ton regard, dans ta main qui tapote les épaules de la personne, et c’est suffisant.

Revenons à la salutation. Moi-même, de la jeune (enfin, tout est relatif) génération, vivant dans une culture étrangère depuis une assez longue période, je peux encore surprendre les gens quand je me laisse emporter par mon instinct chinois. Il y a quelques années, en juillet, dans le jardin de l’ENS de Lyon, j’ai vu mon amie grecque assise à côté d’une étudiante française que je connaissais aussi. C’étaient les vacances et les Français étaient tous partis normalement. Je fus surprise de voir que la Française était encore là, et à cause de la surprise mon instinct l’emportait.

Je suis allée vers elles et ai dit : Comment ça se fait que tu es encore à la fac ?
Elles me regardaient et ne comprenaient pas.
J’ai ajouté, pensant que je n’avais pas été claire : Comment ça se fait que tu es encore à la fac, mais pas rentrée chez toi ?
Elles me regardaient toujours, très perplexes.
Après un instant de silence, l’amie grecque a dit : Mais, tu commences comme ça ?

Commencer quoi ? La salutation. Qu’y a-t-il ? Je n’ai pas commencé par « Bonjour ! Ça va ? », comme tout le monde et comme ce qu’il fallait. Par conséquent, elles ont perdu la réactivité car je sortais de leur « champs de conscience ».

J’ai maintenant l’habitude de prononcer le « bonjour » qui est devenu machinal et instinctif. Mais, après mes dix ans de vie en France, je n’ai toujours pas pris l’habitude d’ajouter toujours « ça va ? ». Je n’ai pas pris l’habitude car je n’ai pas accepté, je n’ai pas accepté car je n’y trouve pas de sens, je ne veux pas dire des choses qui n’ont pas de sens.

Ça nous arrive aussi de demander « ça va bien ? » ou « comment ça va en ce moment ? », quand nous voulons vraiment savoir comment va l’autre personne et nous sommes prêts à écouter ce que l’autre raconterait. Quand nous voyons ou appelons des proches, nous voulons évidemment savoir comment ils se portent, mais nous les interrogeons par des phrases personnalisées et « flexibles ». Comme ça, après la rencontre ou l’appel, nous savons comment va la santé, quel temps il fait, ce que l’autre personne fait de beau, etc. Mais nous n’avons pas forcément besoin de demander « ça va ? », que nous trouvons trop vaste.

Chaque fois, après mon coup de fil avec mes parents ou une amie, mon mari me demande « il/elle va bien ? ». Parfois je ne sais vraiment pas comment répondre à sa question. D’abord, je n’ai pas posé cette question durant toute la conversation. Et puis, ma mère ou mon amie m’a raconté pas mal de choses, concernant divers sujets, dont il y a du positif et du négatif, du Yin et du Yang, mais pas clairement « blanc » ou « noir ». Je dois dire « Il/elle va bien » ou « Il/elle ne va pas bien » (ni l’un ni l’autre n’est juste)? Je lui ai parlé de ma difficulté et il ne le demande plus. En fait, pour lui ce n’est peut-être qu’une habitude, une réflexe.

En France, « ça va ? » est une phrase qu’on ajoute toujours après « bonjour ». Je raconte une autre expérience, entre une amie et moi il y a quelques années :

Elle : Bonjour !
Moi : Bonjour !
Elle : ça va ?
Moi : (comme réponse, je lui ai raconté un peu ma vie)
Elle : Ah bon ! Alors, ça va, ça se passe bien ?
Moi : (j’ai encore trouvé des choses à raconter)
Elle : Ah oui ! Alors, tout va bien ? Ça se passe bien ?
Moi : …. Très bien, merci, et toi ?
Elle : Très bien, merci.

Bon, enfin on a pu terminer le rituel de la salutation. Aujourd’hui, je suis plus habituée à dire « ça va ? », une phrase indispensable mais parfois vidée de sens. Cependant, je ne le dis pas très souvent, tout de même, sauf quand je veux vraiment savoir comment va l’autre. Quand deux personnes se croisent dans le couloir sans même s’arrêter, l’une demande « ça va ? », l’autre peut-elle dire qu’elle ne va pas bien !

Parfois dans le couloir, je croise un collègue. Après le « bonjour » je ne dis plus rien, l’autre personne fait recours à « ça va ? » pour casser le silence, et je dis donc « très bien, merci, et vous ? » Les formules rituelles n’ont pas toujours de sens, mais elles servent à activer l’ambiance et faciliter la communication. Pareil pour « avez-vous mangé ? » chez les Chinois, ce n’est peut-être pas pour inviter les gens à manger, donc n’a pas vraiment de sens non plus. Des phrases comme « vous vous promenez ? » ou « vous faites des courses ? » n’en ont pas plus. J’utilisais ce genre de salutations en Chine, pourquoi maintenant je me bloque pour un petit « ça va ? » ? C’est comme ça le décalage culturel, qui est souvent tenace. Ce n’est que deux mots tout courts, très faciles à dire, mais je mets du temps à l’accepter. Je suis sans doute trop têtue et je tiens trop à chercher le « sens ». Dans la vie il ne faut pas être obstiné pour tout.


Si on creuse, il doit y en avoir, du sens, mais notre sens n’est pas bien compris par les étrangers, et vice versa. A part le sens, il y a aussi les habitudes, héritées de génération en génération, dans lesquelles nous sommes immergés dès notre arrivée au monde. Le sens et l’habitude forment une composante fondamentale d’une culture.

mardi 3 février 2015

Récit des photos: villageoises sous les arbres


 Photos by SHU Changying, été 2013
Village Yaoli 窑里, province Jiangxi 江西

1. regard démographique

Quand on regarde ces photos, on pourrait se demander: où sont les hommes?

Cela reflète un phénomène typique de la campagne chinoise depuis quelques années: le manque de population jeune, notamment masculine. Il reste des personnes âgées, une partie d'enfants (certains sont emmenés en ville par leurs parents, d'autres restent avec leurs grands-parents), et quelques - pas beaucoup - jeunes femmes qui ont choisi de rester pour s'occuper des enfants et de ne pas partir travailler en ville avec leur mari.

Certains villages sont encore plus vidés: beaucoup de maisons fermées à serrure ou même abandonnées; il ne reste que quelques vieux et enfants.

2. mode de vie

Même si l'évolution est énorme, on trouve encore des traces de "mode de vie d'avant" à la campagne. Ces villageoises passent leur temps dehors sous des arbres, un éventail en paille dans les mains. Elles gardent les enfants ou petits-enfants, parlent de tout et de rien, sans aucune consommation d'énergie. 

Certes, il y a des personnes qui préfèrent jouer aux maj-hongs ou regarder la télé dans une pièce climatisée, mais l'espace en plein air est encore bien vivable, même agréable: pas si brûlant comme, en été en Chine, dans les villes où la chaleur est renvoyée de partout - immeubles en béton ou verre, voitures, sol de béton ou de goudron -; peu de bruit, peu de pollution. 

L'ordinateur n'est pas courant encore dans ce village, probablement en raison du manque de jeunes gens. Grâce à ça, les villageois n'ont pas encore pris l'habitude des citadins: préférer passer leur temps libre devant l'ordinateur. L'ordinateur a une telle attirance magique que, dès qu'il y en a, les gens sont absorbés, y compris les enfants qui savent à peine marcher et parler. 

3. curiosité et spontanéité

Sur la première photo, au premier plan, nous voyons deux jeunes femmes au dos. Une des deux était connue par la plupart d'habitantes, l'autre - inconnue - était une amie de la première. Le passage de ces deux femmes était accueilli par la "communauté" avec un grand sourire, surtout intéressée par celle qu'elles ne connaissaient pas. Des questions furent posées: c'est qui? tu habites où? tu fais quoi? tu as des enfants? Ah tiens, tu fais jeune!....