lundi 26 janvier 2015

"Une Chinoise en France" : avant-propos

SHU Changying 舒长瑛 

"Une Chinoise en France" - Vision comparative des cultures sino-française (et sino-occidentale)

A publier en épisodes; traduits au fur et à mesure de ce que j'ai écrit en chinois

Et, si ça peut vous aider à mieux saisir ma position, je m'imagine m'adresser à mes compatriotes.... ;-)

Il est défendu d'utiliser le contenu sans mon accord ou sans préciser la source.
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Avant-propos


Deux points à souligner pour commencer :


Premièrement, l’auteur-je est une Chinoise qui vit en France depuis de nombreuses années, donc le texte prend principalement la France comme référence, mais une partie de contenu concerne plus généralement la communication sino-occidentale. Etant donné l’identité et la position que l’auteur-je se définit, imaginez aussi que les Chinois sont parmi « nous » et Français ou Occidentaux comme « eux ».

Deuxièmement, si on fait entièrement confiance à un livre, cela vaudrait mieux de ne pas avoir le livre » (尽信书则不如无书), dit-on. Un livre, qu’il soit un manuel ou autre, ne doit pas être considéré comme la vérité absolue et sacrée. La naissance d’un livre est le résultat du vécu et du point de vue plus ou moins personnel de l’auteur, il ne peut pas être « absolument juste » et ne peut s’appliquer à tout.

Les lecteurs qui sont familiers avec le contenu de ce livre peuvent le lire en se munissant de leur propre avis ; ceux qui ne sont pas familiers doivent aussi y apporter leur propre réflexion et analyse. S’il y a des questionnements et différents points de vue, il y a des débats qui rendent plus mûres et plus objectives les idées, ainsi verrait-on cent fleurs s’épanouissant en même temps (百花齐放)

L’Orient et l’Occident sont vus comme deux points culturellement opposés et cette vision n’est pas sans raison. Il y a toujours une différence entre deux cultures, mais entre les cultures orientales et occidentales la distance est plus large. C’est pourquoi les Chinois souvent pensent que le décalage culturel entre les pays occidentaux est si infime qu’il n’est pas nécessaire de l’évoquer. Quand ils entendent les Européens comparer la France et l’Allemagne ou bien la France et la Belgique, ils peuvent trouver que ces gens cherchent des problèmes et inventent une soi-disant différence culturelle, alors que la différence culturelle entre l’Orient et l’Occident peut vraiment s’appeler « différence ». Autrement dit, les Chinois mettent le monde « occidental » dans le même panier.

Tout est relatif. Grand ou petit, avoir ou ne pas avoir, c’est relatif.

Un Chinois arrivant en Europe, ou bien un Européen arrivant en Chine, si on dit qu’il tombe sur un autre monde ce n’est pas une exagération. Ce qu’on voit, ce qu’on mange, ce qu’on pense, tout paraît très différent. Et ces différences, on ne peut pas les ressentir tout de suite sans avoir vécu une période dans cet autre monde. Les choses à voir, à entendre et à manger, nous savons assez vite que c’est différent, mais la différence au niveau mental n’est pas perçue par chaque personne.

Savoir qu’il y a des différences, c’est la première étape. C’est-à-dire qu’il faut d’abord avoir la conscience, c’est un premier grand pas. L’étape suivante est d’être curieux, d’être intéressé, d’observer où se trouvent les différences. Et ensuite, réfléchir sur des « pourquoi ». Quand on commence à demander pourquoi et en plus explorer les « pourquoi », on  arrive à une étape fort intéressante.

J’ai choisi le français comme ma discipline universitaire il y a à peu près vingt ans, dès lors, je suis mise sur le chemin de comparaison culturelle sino-occidentale. Quand je travaillais en Chine, même si j’étais dans l’enseignement du français et étais forcément en contact avec la langue et la culture françaises, mais sans être dans le contexte authentique je ne pouvais pas avoir des connaissances vraiment approfondies. J’ai eu la chance d’avoir fait un séjour de deux mois en France, mais avec un regard « touristique » on reste encore au superficiel. Dans le groupe, certains ont eu une bonne entente avec la famille d’accueil, d’autres se sont plaints d’avoir une famille « radine » ou « pas gentille ». Après deux mois, chacun est parti de la France avec son propre vécu qui risque de devenir sa définition du pays. Le vécu et le point de vue personnel sont parfois interprétés avec un ton incontestable comme une théorie autoritaire. N’est-ce pas dangereux ? Voilà pourquoi au début de l’avant-propos je rappelle aux lecteurs que « si on fait entièrement confiance à un livre, cela vaudrait mieux de ne pas avoir le livre » (尽信书则不如无书).

Seulement si on vit DANS une culturel et s’y baigne quotidiennement et sans distance, on peut avoir ses propres visions profondes, réelles et à diverses facettes. Depuis que je vis en France depuis dix ans, j’ai commencé petit à petit à vraiment connaître la France, ou bien à connaître la vraie France. Je n’ai jamais appartenu à une « communauté », par exemple une communauté d’étudiants chinois (aller ensemble aux cours, faire des courses et manger ensemble, suivre des feuilletons ensemble pendant le week-end, voyager ensemble pendant les vacances, passer les fêtes ensemble), ou d’autres communautés patriotiques ou religieuses. J’aurais un côté solitaire et n’aime pas me faire restreindre la pensée. Je peux donc laisser mon esprit vagabonder librement, sans me faire formater  par un sens de clan.

Une vie interculturelle rend l’esprit plus riche et plus large, forme un système de références pluriel. Nous pouvons dire que c’est un plaisir. Mais l’interculturel génère aussi de la souffrance. Cette souffrance varie d’une personne à une autre puisque chacun a ses expériences singulières à lui. Je ne parle pas ici de la souffrance matérielle liée aux conditions de vie, je parle d’une souffrance intellectuelle et mentale. Vous vivez dans un pays étranger où entre vous et les autres il y a une différence culturelle ; vous rentrez dans votre pays, votre ville natale, vous ressentez aussi une différence avec les autres. Vous vous trouvez dans un entre-deux, vous n’êtes ni l’un ni l’autre. Vous faites partie d’un petit clan particulier et il n’y a que ce clan particulier qui vous comprend vraiment. Votre identité rend votre esprit compliqué qui n’est plus comme avant. Donc parfois vous êtes fatigué. 

Je dis qu’il y a une souffrance d’esprit aussi parce que désormais vous êtes toujours en train de comparer, consciemment ou inconsciemment. Pourquoi ils sont comme ça alors que nous sommes comme ça ? Parfois vous trouvez vite votre réponse, parfois vous restez confus. Parfois vous savez que la mentalité que vous serrez dans les bras ne vous convainc pas vraiment mais c’est plus fort que vous. Des fois vous êtes paradoxal vis-à-vis de vous-même et ne savez pas comment faire un choix. Vous débattez avec vous-même et avec d’autres. Vos interlocuteurs portent diverses positions et visions. Avoir des dialogues où l’objectivité et la sagesse brillent est fort plaisant, à ce moment vous vous ouvrez. Mais à d’autres moments vous heurtez des points de vue étroits ou antipathiques, ce qui fait que vous repliez.

Je pense avoir une certaine sensibilité pour la communication interculturelle. Comme ce que j’ai dit en haut, premièrement avoir la conscience de la différence, deuxièmement chercher les « pourquoi ». Pendant les années où j’ai enseigné le chinois à l’université, j’aimais bien discuter sur les plaisirs et les difficultés de la communication interculturelle avec les étudiants, notamment ceux en Master. Ils apprenaient le chinois depuis trois ou quatre ans, la plupart avaient étudié et vécu en Chine. Nos discussions étaient donc dans les deux sens : une Chinoise en France et des Français connaissant plus ou moins la Chine. Aujourd’hui, ma vie personnelle est biculturelle, où immergés chaque repas, chaque comportement et chaque conversation.

Je pense, à travers l’écriture, clarifier et organiser mon ressenti, ma réflexion et mon vécu de cette dizaine d’années, d’une part, comme une accrétion sédimentaire des idées, d’autre part pour partager et échanger avec d’autres personnes du « club ». De plus, l’écriture est un processus de maturation d’esprit et aussi un processus où on interroge et revoit sa propre pensée.

La communication interculturelle est stressante dans certaines circonstances, comme s’il faut « marcher sur une fine couche de glace » (如履薄冰). Pour se préparer on peut lire des livres ou même s’inscrire à une formation. Les entreprises paient parfois un expert pour former leurs employés en contact avec des étrangers, les aider à concevoir leur comportement et parole, les avertir des points importants à retenir. Les formés notent tous ces points pour plus tard les appliquer.

C’est bien de se préparer et l’utilité d’une formation dépend de la méthode du formateur et de la réception du formé. J’ai l’impression que beaucoup de formations traitent des éléments formels et superficiels. On vient suivre un cours parce qu’on pense ne pas être capable de gérer aisément des contacts interculturels, il ne suffit pas de leur jeter le contenu emballé dans des termes et des théories tout prêts et figés. Le sens d’augmenter sa compétence interculturelle consiste à dépasser et casser ces éléments prêts et figés, autrement dit, des « stéréotypes », « clichés », « préjugés » et « idées reçues ». On risque souvent de dire « les Chinois sont comme ça », « les Français sont comme là ». Comme dit l’expression « Les neuf fils du dragon se diffèrent l’un de l’autre » (龙生九子, 各有不同), même les enfants de la même famille ont chacun ses caractères, comment pouvons-nous définir toute une nation si facilement ? Si on vous demande « comment sont les Chinois », vous ne saurez pas répondre, alors pouvons-nous dire en quelques simples mots comment sont les Français ou les Américains ?

Je pense que la compétence interculturelle repose sur la formation d’une réflexion et d’une capacité de distinction indépendantes. Il ne faut pas se satisfaire des opinions reçus et non plus lancer nos opinions personnelles à d’autres. Nous avons à réduire la distance, casser les murs, raisonner par notre tête et ressentir par notre cœur, rechercher les points communs tout en respectant les points différents.

Ce que nous recherchons, c’est la compréhension, la compréhension dans les deux sens.

Cet avant-propos peut sentir théorique, mais le corps principal qui va suivre sera en grande partie énonciatif, laissant la parole aux expériences réelles et au ressenti. Je me baserai sur des éléments de la vie quotidienne, sans cibler spécifiquement le milieu politique ou le milieu de business. Connaître et comprendre la différence culturelle dans la vie dite ordinaire est le point de départ, sans lequel il est impossible de construire « un palais dans le ciel » (空中楼阁) en traitant directement un milieu spécialisé.


Je n’ai pas fait d’interviews avant d’écrire ce texte. Je n’ai pas comme objectif de rédiger un ouvrage scientifique en sociologie, mais de mettre par écrit du vécu et du senti. A la fin, je vais dire une phrase qui paraît très conventionnelle et rituelle, mais est tout à fait sincère : Mes connaissances et expériences ont des limites, mes opinions peuvent manquer de rigueur, des remarques et des débats sont les bienvenus. 


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