dimanche 25 décembre 2011

Un cui-cui mort

(2006)

Un événement dont je suis un peu désolée pour nous les adultes, par contre ce n’est peut-être pas notre faute.


Un lundi comme les autres, je m’occupe d’Olivier, un petit garçon français de trois ans.

Après-midi, à la sortie de l’école, main dans la main, nous marchons lentement, comme d’habitude. Mais aujourd’hui, il y avait un oiseau écrasé sur le trottoir. Je lui ai fait regarder (je le regrette, mais je ne savais pas que cela aurait tant d'effets sur lui) en disant : regarde, il y a un oiseau mort. Il regardait, sans tout de suite comprendre. Il me demandait plusieurs pourquoi comme toujours. Je lui ai expliqué que le cui-cui n’avait pas fait attention pour traverser la rue et qu’il avait peut-être été écrasé par une voiture et qu’il était mort.

Il a eu d’un coup l’air très inquiet et commencé à parler plus vite que jamais : on va appeler les pompiers ? pour ... ? on va appeler les gendarmes ? ... mettre à l’hôpital ... ... . Je voulais, évidemment, me débarasser de cette responsabilité dérisoire, tout en évitant de le choquer par une indifférence cruelle, alors j’essayais d’être patiente en expliquant que c’était trop tard, qu’il était déjà mort, qu’on ne pouvait rien faire. Il n’avait pas encore l’âge de comprendre ce que c’était la mort. Il m’a abandonnée, intelligemment, comptant sur ses parents avec lesquels ils viendraient le chercher et le mettre à l’hôpital.

Mais il ne l’oubliait pas. Il regardait partout, désespérément, pour chercher un secours. Il appelait tous les passants à haute voix pour leur annoncer ce grand incident.

- « madame ! »
- « oui, monsieur » (la dame avait l’air moqueur et passait sans qu’Olivier n’ait le temps de le lui raconter)

- « monsieur »

- « madame »

- « monsieur ! monsieur ! ... »

...

Les passants sont inconscients de l’appellation d’un petit gamin. Ils ne l’entendent pas.

Un travailleur dans un chantier :

- « monsieur ! »
- sourire
- « monsieur ! Monsieur ! il y a un cui-cui mort »
- perplexe.
- (en considérant que cui-cui soit incompréhensible, je lui ai expliqué ce qu’Olivier voulait lui dire)
- Il est mort, alors il est mort. (parti)

Il a continué d’appeler des gens. « monsieur ! ... ». « madame ! ». « garçon ». « papa de garçon »...

En bas de l’immeuble, nous étions assis, parlant encore de ce cui-cui mort : lui mélancolique, moi désintéressée. C’était la seule fois où il restait assis tranquillement, en disant qu’il attendait sa maman et son papa, puisqu’il ne pouvait plus compter sur les autres.

Enfin, ses parents sont arrivés.

- maman, il y a un cui-cui mort
- quoi ??!! (L’air étonnamment inquiet et me regardant pour une explication)
- (je lui ai expliqué l’événement)
- ah !! (souriante, soulagée). Mort, je croyais qu’un cui-cui le mord !!
- (je lui ai ajouté qu’il les attendait pour cela).
- (à son fils) Ah bon, alors je suis très contente que tu me dises ça. (Je crois qu’elle ne voulait pas dire contente, elle n’a pas pu sélectionner un mot plus compréhensif sans doute parce qu’elle était épuisée par le travail, la chaleur, et le repas et le bain des enfants qui l’attendaient.)

- papa, il y a un cui-cui mort !
- (pas de réaction, l’air fatigué).

- (Retour à sa mère) maman, il faut aller chercher le cui-cui!
- non.

Il a essayé d'en parler à sa soeurette de 2 ans, mais celle-ci n'était pas assez grande pour partager ses sentiments.

Et je suis partie de chez eux.

Un jour, peut-être dans peu de temps, il saura, comme nous, qu’il ne faut pas angoisser ainsi lorsqu’on voit un oiseau mort...

4 commentaires:

  1. Je trouve cette histoire très révélatrice des angoisses et des détresses de l'enfance qui restent incomprises ou passent inaperçues des adultes pressés. Ce "cuicui" mort sans qu'on appelle les pompiers (!) ne laissera sans doute pas de trace dans la mémoire consciente de ce petit garçon mais il s'est visiblement identifié à l'animal ou, du moins, avec sa générosité d'enfant, il a identifié vie humaine et vie animale. Il ne traversera sans doute jamais la route sans faire très attention.

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  2. J'avais ressenti la contraste entre l'indifférence chez les adultes (comme ce que je dis dans le texte, ce n'est peut-être pas notre faute. On a tellement de chats à fouetter...) et cette "générosité" innocente chez les enfants.

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  3. J'adore le style de la narration. C'est très bien écrit.
    On ne s'ennuie pas et cette honnêteté candide, c'est merveilleux.
    Bravo.

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