Dès la dernière année
du collège jusqu’à la fin du lycée, j’ai passé 4 ans enfermée, avec une vie
ternaire : étudier, manger, dormir.
L’arrivée de la
dernière année au collège m'apporta une ambiance pressante, car il me
fallait réussir à entrer au Lycée Un de la ville – un pont
pour accéder à une bonne université, tandis que les autres seraient un pont aux voyous. Durant cette année,
je me disais tous les jours Lycée Un ! Lycée Un ! pour me rappeler mon
but. Je l’avais écrit et mis sur ma table, ce qui avait effectivement augmenté
ma résistance dans les moments de fatigue.
J’occupais une
chambre à moi seule, car c’était le collège de mon père – il était prof, le
mien en plus. La fenêtre était un tableau naturel qui donnait sur un monde de
verdure. Devant, c’était un bois de bambous ; derrière les bambous, des
rizières ; plus loin, des collines ; et ensuite, on voyait en flou les sommets
de grandes montagnes.
Je me mettais à ma
fenêtre que je laissais ouverte même en hiver. Les feuilles fines des bambous
murmuraient sous le vent. Au printemps, je regardais les pousses sortir de la
terre, grandir visiblement et devenir en quelques jours de jeunes bambous.
Si je déplaçais un
peu le regard, à travers les rizières, je voyais les collines où surgissaient
des touffes de rhododendrons sauvages, et parfois je me permettais de sortir de
mon agréable prison pour aller en
cueillir un bouquet.
Pendant que mes
parents me croyaient étudier, le nez baissé sur les livres, j’observais
l’extérieur, vaste sans bord, éternel en vivacité, évoluant suivant les
saisons, dont la scène a été profondément gravée dans mes souvenirs. Parfois je
faisais un mauvais dessin ou un sobre poème, trop faibles pour décrire la
beauté de la grande nature. J’adorais écrire mes journaux intimes, certains
très longs, sur les bambous, les champs, les fleurs printanières, les fruits
sauvages automnaux, la neige hivernale et aussi mes sentiments adolescents...
Ainsi ai-je formé l’habitude de rêvasser en face des livres.
Le temps s’écoulait. L’année
touchait à sa fin. J’ai réussi à entrer au Lycée Un en ville. Adieu, ma fenêtre
! Je ne pourrais plus jamais y retourner ! Elle me serait de plus en plus
lointaine !
******
Mon lycée se situait
au centre de la ville, mais je ne dépassais jamais la porte principale, par
contre grande ouverte, pour regarder un peu ce qui se passait dehors.
J’emprunte la phrase célèbre de Zhu Xi 朱熹(1130-1200)pour
montrer notre état - 两耳不闻窗外事, 一心只读圣贤书 (on se consacre entièrement à lire
des livres des Sages, sans écouter ce qui se passe en dehors des fenêtres).
Le campus n’était pas
petit pour un lycée. Il était respecté par toute la ville. C'était un endroit
transformé d’un jardin privé (à l’ancienne époque – c’est-à-dire avant 1949 en quelque sorte - c’était le jardin
d’une famille riche ; au début de la prise du pouvoir pas mal de
propriétés privées ont été confisquées pour devenir des endroits et des
établissements publics). On y trouvait un petit lac, un kiosque avec des
sentences parallèles gravées sur les colonnes, un pont en pierre de couleur vert
gris (青石板), un bateau en pierre. J’aimais bien
lire avant et après les cours sur le pont, sur le bateau ou près du
kiosque : la beauté du coin était un confort à ma vie monotone de prisonnière.
Les livres, les
examens et le stress pour le Gaokao (concours national pour l’entrée à
l’Université) assombrissaient nos yeux et notre esprit. On marchait, les pas
pressés, entre le dortoir et la classe, sans rien voir. On ignorait qu’il y
avait un monde à l’extérieur de l’école et que l’adolescence devrait être une
belle page de la vie.
Dans l’examen à la
fin du premier semestre, je n’étais que la 16e de la classe. Je me sentis
tombée dans un trou noir, je n’osais pas rentrer à la maison, pensant à
m’enfuir dans un endroit lointain, comme un clochard. J’ai fini par rentrer,
heureusement.
Mon père,
normalement, ne me frappait pas. Il me demandait simplement POURQUOI un tel
résultat et il tenait absolument à une réponse raisonnable. Je traînais des
heures sans pouvoir y répondre, puisqu’il n’existait pas de bonnes réponses,
notamment parce que je n’osais pas parler librement devant lui. Si je disais
que parce que je n’avais pas assez bien travaillé, certainement la question
suivante serait pourquoi tu n’as pas
bien travaillé ; si je disais que
j’avais bien travaillé, il ne serait pas moins fâché en répliquant alors ça veut dire
que tu n’es pas intelligente et dans ce cas ce n'est pas la peine de continuer.
Le silence pesant
durait longtemps, que personne d’autre n’osait casser. Je restais debout, la
tête baissée, le regard fixé sur les pieds, sentais la pression du regard de
mon père, qui voyait l’impossibilité que je réponde, abandonnait et
poussant des soupirs en hochant la tête.
Evidemment, la
maison, à ce moment-là, ne signifiait qu’un autre pupitre, y compris pendant
les vacances. En réalité, pendant les deux dernières années, on avait très peu
de jours de vacances, puisqu’on les remplissait par les cours supplémentaires.
Les week-ends de même.
A l’arrivée des
vacances, sous l’ordre de mon père (très souvent je n’écoutais pas ma mère,
donc je n’appliquais que les ordres de mon père), je rédigeais un plan de
vacances ainsi :
7h00 : se lever ;
7h15 – 8h00 : lecture
matinale ;
8h00 – 9h00 :
petit-déjeuner et repos (heureusement mon père tenait à ce qu’on se repose en
une demi-heure après le repas pour le bien-être de l’estomac) ;
9h00 – 11h45 :
étudier ;
12h00 – 13h30 :
déjeuner et repos ;
etc.
Une fois, pendant un
moment précieux dédié au repos, mon père, tout d’un coup, surpris de me trouver
dehors, me dit : ne faut-il pas que tu
ailles étudier ? Je lui répondis que
ce n’était pas encore l’heure. Il était étonné par ma réponse, dit : on ne peut pas
étudier quand ce n’est pas l’heure ? Puisque c’était la
parole de mon père, qui ne devait pas être répétée une fois de plus, j’entrai
dans la chambre, en me demandant au cœur : si on ne respecte pas le plan, à
quoi bon l’avoir fait ?
Un soir de week-end,
je m’enfermais comme d’habitude dans la chambre, mais lisant furtivement le
roman «家» (jia:
maison) de Ba Jin, tellement concentrée que je me rendis compte trop tard que
ma mère entra. Instinctivement, j’essayai de cacher le roman sous la table. Je
reçus une gifle sur le visage avant que je ne tourne la tête. Elle dit que
c’était détestable que je me comportais comme une voleuse, sinon elle ne se
fâcherait pas tellement, car il ne s’agissait pas d’un livre malsain (elle n’oublia pas
d’ajouter que ce serait mieux de le lire après le gaokao). Mais, de ma part,
je l’avais fait par instinct, puisque tous les livres à part les manuels et les
cahiers d’exercices étaient interdits !
Je passais souvent
par un étang et des champs pour retourner de l’école à la maison. Un vendredi
printanier, j’ai été attirée par la nature et ai cueilli quelques herbes et
petites fleurs sauvages au bord de l’étang. Le soir je les collai artistement sur
des pages d’un vieux livre. Plongée dans la création, j’entendis quelqu’un
envahir mon territoire. Je me dis désespérément : c’est fichu ! Encore une gifle ! Et le cahier sera déchiré !
C’était ma mère, qui, à ma grande surprise, n’a pas du tout utilisé la
violence. Elle regarda mes œuvres les yeux grands ouverts, dit d’un ton
appréciatif : tu fais quoi ? C’est
joli ! Tu peux faire ça avec quelques petites herbes ? Pendant que je
restais perplexe de sa réaction inattendue, elle prit le livre pour montrer à
mon père et mes oncles en train de jouer aux ma-jongs. Et puis, elle me le
rendit, en ajoutant que je ne devrais pas y passer trop de temps. De toute
façon, c’étaient les parents qui jugeaient.
Mes camarades étaient
en général dans une situation plus modérée que moi, car les parents paysans ou commerçants
pensaient moins aux événements scolaires. Les miens étaient profs! Les autres
avaient le droit de regarder la télé les soirs de week-end. A chaque retour à
l’école, elles discutaient, excitées comme un groupe de pies, des feuilletons
où il y avait de beaux garçons, parmi lesquels elles choisissaient leur prince
charmant. On était parfois punies par la surveillante du dortoir à cause du bruit
que l'on faisait. Quant à moi, je restais muette puisque je n’en
connaissais aucun.
Les résultats des
examens, bons ou moyens, se succédaient, suivis du soulagement ou d’angoisse.
Les années lycéennes m’ont transformée en une fille inquiète, gênée, perdant
facilement confiance. Ma myopie s'aggravait.
Pendant la troisième
année on avait des examens mensuels, qui duraient chaque fois 2 jours et
demi comme le vrai gaokao, pour nous entraîner
et nous habituer. 2 ou 3 mois avant le gaokao, à un examen mensuel
de maths, j’eus brusquement la tête vide, je n’avais plus aucune idée pour les
questions, les doigts tremblant de peur, jusqu’à la sonnerie finale. Je n’ai eu
que 60 sur 150 pour les maths, et je suis tombée derrière la 30e place dans la
classe, ce qui ne m’était jamais arrivé.
Mes parents étaient
effrayés, ainsi que les professeurs, car j’étais considérée comme une élève
capable de réussir. Pourtant, il s’agissait d’un moment délicat où je devrais
retrouver le calme et la confiance. Alors, ils essayaient d’être discrets. Mon
père n’est pas rentré de son école le week-end pour éviter de m’inquiéter,
envoyant ma mère à la maison. Elle a montré énormément de douceur, sans oser
respirer fort. En fait, elle était troublée et avait écrit à notre professeur
responsable (班主任 : banzhuren), la priant de me
calmer et de m’encourager. Celle-ci m’a fait sortir de la classe, toute
souriante, et m’a dit : Ta mère s’inquiète
beaucoup. Mais ce n’est vraiment pas la peine ! Ce n’est rien. J’ai toujours
confiance en toi ! Son ton, malgré une
légère facticité, était rassurant.
J’étais en bonne
santé, car les candidats au gaokao sont souvent le centre
de soin et d’attention des familles. Ce que je prenais le plus, c’était les
poulets cuits à petit feu et le 人参 (renshen:
ginseng), beaucoup plus sûrs que les produits dits magiques fabriqués par des
usines. Les poulets étaient cent pour cent fermiers puisque mes parents en
achetaient directement dans les villages, que les paysans attrapaient sur place
avant la vente. De temps en temps, les collègues de mes parents nous en
offraient un comme cadeau, pour exprimer leur soutien. J’en mangeais un chaque
week-end, les prenant pour des médicaments sans savourer le goût.
On disait que les
cailles sauvages étaient extraordinairement nutritifs (on dit "trois
cailles valent un poulet fermier" ou "une caille vaut trois poulets
fermiers" je ne sais plus). Quand mon frère en chassa une, il la faisait
cuire et ma belle-sœur me l’apporta à l’école. Quand elle me trouvait dans mon
dortoir, c’était encore bien chaud. Elle me regardait finir de manger et
ensuite partait avec la gamelle.
Les jours de gaokao ! Les 2 jours et demi
! Mes parents réfléchissaient beaucoup sur les menus des repas, comme tous les
parents qui avaient leur enfant aux champs de bataille. Ils avaient beau
remplir la table avec ce qu’ils pouvaient trouver au marché, car je n’avais
appétit pour rien. Je dormais très peu, comme tout le monde. Certains camarades
prenaient des somnifères pour s’endormir. Une fille était restée assise chez
son professeur pendant toute une nuit.
Dieu merci, j’étais
en pleine forme durant ces deux jours et demi. Pendant la séance de maths, la
tête vide a failli me rendre visite encore une fois, mais magiquement, elle a
été chassée par une force inconnue. Peut-être mes ancêtres me bénissaient ! Ou
bien les Bouddhas, selon ma mère (elle croit que c’était grâce à ses
prosternements devant les Bouddhas que j’ai pu réussir, ainsi que ma soeur). Ou
plutôt tous les deux. J’ai retrouvé la tête aussi claire que le ciel après la
pluie. J’ai réglé sans obstacle toutes les questions. La note était meilleure
que ce que j’attendais : 138 sur 150 – un résultat dont mon professeur de maths
parlerait à ses élèves les années suivantes.
J’avais très souvent
imaginé que, après gaokao, je jetterais les
diables de livres, je crierais et sauterais de joie comme une folle. Pourtant,
lorsque le moment arriva effectivement, je me sentais tranquille, même vide,
sans savoir quoi faire. Je n’en avais pas l’habitude, de la libération. De
toute façon, je n’aurais jamais envie de retourner aux années de lycée. Pendant
la première année universitaire, j'ai fait plusieurs fois le même cauchemar :
j’étais encore au lycée, ayant le gaokao devant moi. Quand je
me réveillais, je me sentais sauvée que ce n’était qu’un rêve. J’ai su plus
tard que certains autres camarades ont fait ces rêves, cauchemars plutôt,
aussi.
Malgré tout, je
remercie profondément tous ceux qui m’ont soutenue durant ces années là,
surtout ma famille, dont je m’éloigne de plus en plus après la réussite au gaokao.
Et maintenant que devenez vous ? Cette histoire appelle un suite que j’aimerais connaître. Damien
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