mercredi 7 juin 2023

Les années très studieuses

 

Dès la dernière année du collège jusqu’à la fin du lycée, j’ai passé 4 ans enfermée, avec une vie ternaire : étudier, manger, dormir.

 

L’arrivée de la dernière année au collège m'apporta une ambiance pressante, car il me fallait réussir à entrer au Lycée Un de la ville – un pont pour accéder à une bonne université, tandis que les autres seraient un pont aux voyous. Durant cette année, je me disais tous les jours Lycée Un ! Lycée Un ! pour me rappeler mon but. Je l’avais écrit et mis sur ma table, ce qui avait effectivement augmenté ma résistance dans les moments de fatigue.

 

J’occupais une chambre à moi seule, car c’était le collège de mon père – il était prof, le mien en plus. La fenêtre était un tableau naturel qui donnait sur un monde de verdure. Devant, c’était un bois de bambous ; derrière les bambous, des rizières ; plus loin, des collines ; et ensuite, on voyait en flou les sommets de grandes montagnes.

 

Je me mettais à ma fenêtre que je laissais ouverte même en hiver. Les feuilles fines des bambous murmuraient sous le vent. Au printemps, je regardais les pousses sortir de la terre, grandir visiblement et devenir en quelques jours de jeunes bambous.

 

Si je déplaçais un peu le regard, à travers les rizières, je voyais les collines où surgissaient des touffes de rhododendrons sauvages, et parfois je me permettais de sortir de mon agréable prison pour aller en cueillir un bouquet.

 

Pendant que mes parents me croyaient étudier, le nez baissé sur les livres, j’observais l’extérieur, vaste sans bord, éternel en vivacité, évoluant suivant les saisons, dont la scène a été profondément gravée dans mes souvenirs. Parfois je faisais un mauvais dessin ou un sobre poème, trop faibles pour décrire la beauté de la grande nature. J’adorais écrire mes journaux intimes, certains très longs, sur les bambous, les champs, les fleurs printanières, les fruits sauvages automnaux, la neige hivernale et aussi mes sentiments adolescents... Ainsi ai-je formé l’habitude de rêvasser en face des livres.

 

Le temps s’écoulait. L’année touchait à sa fin. J’ai réussi à entrer au Lycée Un en ville. Adieu, ma fenêtre ! Je ne pourrais plus jamais y retourner ! Elle me serait de plus en plus lointaine !

 

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Mon lycée se situait au centre de la ville, mais je ne dépassais jamais la porte principale, par contre grande ouverte, pour regarder un peu ce qui se passait dehors. J’emprunte la phrase célèbre de Zhu Xi 朱熹11301200pour montrer notre état - 两耳不闻窗外事, 一心只读圣贤书 (on se consacre entièrement à lire des livres des Sages, sans écouter ce qui se passe en dehors des fenêtres).

 

Le campus n’était pas petit pour un lycée. Il était respecté par toute la ville. C'était un endroit transformé d’un jardin privé (à l’ancienne époque – c’est-à-dire avant 1949 en quelque sorte - c’était le jardin d’une famille riche ; au début de la prise du pouvoir pas mal de propriétés privées ont été confisquées pour devenir des endroits et des établissements publics). On y trouvait un petit lac, un kiosque avec des sentences parallèles gravées sur les colonnes, un pont en pierre de couleur vert gris (青石板), un bateau en pierre. J’aimais bien lire avant et après les cours sur le pont, sur le bateau ou près du kiosque : la beauté du coin était un confort à ma vie monotone de prisonnière.

 




Les livres, les examens et le stress pour le Gaokao (concours national pour l’entrée à l’Université) assombrissaient nos yeux et notre esprit. On marchait, les pas pressés, entre le dortoir et la classe, sans rien voir. On ignorait qu’il y avait un monde à l’extérieur de l’école et que l’adolescence devrait être une belle page de la vie.

 

Dans l’examen à la fin du premier semestre, je n’étais que la 16e de la classe. Je me sentis tombée dans un trou noir, je n’osais pas rentrer à la maison, pensant à m’enfuir dans un endroit lointain, comme un clochard. J’ai fini par rentrer, heureusement.

 

Mon père, normalement, ne me frappait pas. Il me demandait simplement POURQUOI un tel résultat et il tenait absolument à une réponse raisonnable. Je traînais des heures sans pouvoir y répondre, puisqu’il n’existait pas de bonnes réponses, notamment parce que je n’osais pas parler librement devant lui. Si je disais que parce que je n’avais pas assez bien travaillé, certainement la question suivante serait pourquoi tu n’as pas bien travaillé ; si je disais que j’avais bien travaillé, il ne serait pas moins fâché en répliquant alors ça veut dire que tu n’es pas intelligente et dans ce cas ce n'est pas la peine de continuer.

 

Le silence pesant durait longtemps, que personne d’autre n’osait casser. Je restais debout, la tête baissée, le regard fixé sur les pieds, sentais la pression du regard de mon père, qui voyait l’impossibilité que je réponde, abandonnait et poussant des soupirs en hochant la tête.

 

Evidemment, la maison, à ce moment-là, ne signifiait qu’un autre pupitre, y compris pendant les vacances. En réalité, pendant les deux dernières années, on avait très peu de jours de vacances, puisqu’on les remplissait par les cours supplémentaires. Les week-ends de même.

 

A l’arrivée des vacances, sous l’ordre de mon père (très souvent je n’écoutais pas ma mère, donc je n’appliquais que les ordres de mon père), je rédigeais un plan de vacances ainsi :

7h00 : se lever ;

7h15 – 8h00 : lecture matinale ;

8h00 – 9h00 : petit-déjeuner et repos (heureusement mon père tenait à ce qu’on se repose en une demi-heure après le repas pour le bien-être de l’estomac) ;

9h00 – 11h45 : étudier ;

12h00 – 13h30 : déjeuner et repos ;

etc.

 

Une fois, pendant un moment précieux dédié au repos, mon père, tout d’un coup, surpris de me trouver dehors, me dit : ne faut-il pas que tu ailles étudier ? Je lui répondis que ce n’était pas encore l’heure. Il était étonné par ma réponse, dit : on ne peut pas étudier quand ce n’est pas l’heure ? Puisque c’était la parole de mon père, qui ne devait pas être répétée une fois de plus, j’entrai dans la chambre, en me demandant au cœur : si on ne respecte pas le plan, à quoi bon l’avoir fait ?

 

Un soir de week-end, je m’enfermais comme d’habitude dans la chambre, mais lisant furtivement le roman «» (jia: maison) de Ba Jin, tellement concentrée que je me rendis compte trop tard que ma mère entra. Instinctivement, j’essayai de cacher le roman sous la table. Je reçus une gifle sur le visage avant que je ne tourne la tête. Elle dit que c’était détestable que je me comportais comme une voleuse, sinon elle ne se fâcherait pas tellement, car il ne s’agissait pas d’un livre malsain (elle n’oublia pas d’ajouter que ce serait mieux de le lire après le gaokao). Mais, de ma part, je l’avais fait par instinct, puisque tous les livres à part les manuels et les cahiers d’exercices étaient interdits !

 

Je passais souvent par un étang et des champs pour retourner de l’école à la maison. Un vendredi printanier, j’ai été attirée par la nature et ai cueilli quelques herbes et petites fleurs sauvages au bord de l’étang. Le soir je les collai artistement sur des pages d’un vieux livre. Plongée dans la création, j’entendis quelqu’un envahir mon territoire. Je me dis désespérément : c’est fichu ! Encore une gifle ! Et le cahier sera déchiré ! C’était ma mère, qui, à ma grande surprise, n’a pas du tout utilisé la violence. Elle regarda mes œuvres les yeux grands ouverts, dit d’un ton appréciatif : tu fais quoi ? C’est joli ! Tu peux faire ça avec quelques petites herbes ? Pendant que je restais perplexe de sa réaction inattendue, elle prit le livre pour montrer à mon père et mes oncles en train de jouer aux ma-jongs. Et puis, elle me le rendit, en ajoutant que je ne devrais pas y passer trop de temps. De toute façon, c’étaient les parents qui jugeaient.

 

Mes camarades étaient en général dans une situation plus modérée que moi, car les parents paysans ou commerçants pensaient moins aux événements scolaires. Les miens étaient profs! Les autres avaient le droit de regarder la télé les soirs de week-end. A chaque retour à l’école, elles discutaient, excitées comme un groupe de pies, des feuilletons où il y avait de beaux garçons, parmi lesquels elles choisissaient leur prince charmant. On était parfois punies par la surveillante du dortoir à cause du bruit que l'on faisait. Quant à moi, je restais muette puisque je n’en connaissais aucun.

 

Les résultats des examens, bons ou moyens, se succédaient, suivis du soulagement ou d’angoisse. Les années lycéennes m’ont transformée en une fille inquiète, gênée, perdant facilement confiance. Ma myopie s'aggravait.

 

Pendant la troisième année on avait des examens mensuels, qui duraient chaque fois 2 jours et demi comme le vrai gaokao, pour nous entraîner et nous habituer. 2 ou 3 mois avant le gaokao, à un examen mensuel de maths, j’eus brusquement la tête vide, je n’avais plus aucune idée pour les questions, les doigts tremblant de peur, jusqu’à la sonnerie finale. Je n’ai eu que 60 sur 150 pour les maths, et je suis tombée derrière la 30e place dans la classe, ce qui ne m’était jamais arrivé.

 

Mes parents étaient effrayés, ainsi que les professeurs, car j’étais considérée comme une élève capable de réussir. Pourtant, il s’agissait d’un moment délicat où je devrais retrouver le calme et la confiance. Alors, ils essayaient d’être discrets. Mon père n’est pas rentré de son école le week-end pour éviter de m’inquiéter, envoyant ma mère à la maison. Elle a montré énormément de douceur, sans oser respirer fort. En fait, elle était troublée et avait écrit à notre professeur responsable (班主任 : banzhuren), la priant de me calmer et de m’encourager. Celle-ci m’a fait sortir de la classe, toute souriante, et m’a dit : Ta mère s’inquiète beaucoup. Mais ce n’est vraiment pas la peine ! Ce n’est rien. J’ai toujours confiance en toi ! Son ton, malgré une légère facticité, était rassurant.

 

J’étais en bonne santé, car les candidats au gaokao sont souvent le centre de soin et d’attention des familles. Ce que je prenais le plus, c’était les poulets cuits à petit feu et le 人参 (renshen: ginseng), beaucoup plus sûrs que les produits dits magiques fabriqués par des usines. Les poulets étaient cent pour cent fermiers puisque mes parents en achetaient directement dans les villages, que les paysans attrapaient sur place avant la vente. De temps en temps, les collègues de mes parents nous en offraient un comme cadeau, pour exprimer leur soutien. J’en mangeais un chaque week-end, les prenant pour des médicaments sans savourer le goût.

 

On disait que les cailles sauvages étaient extraordinairement nutritifs (on dit "trois cailles valent un poulet fermier" ou "une caille vaut trois poulets fermiers" je ne sais plus). Quand mon frère en chassa une, il la faisait cuire et ma belle-sœur me l’apporta à l’école. Quand elle me trouvait dans mon dortoir, c’était encore bien chaud. Elle me regardait finir de manger et ensuite partait avec la gamelle.

 

Les jours de gaokao ! Les 2 jours et demi ! Mes parents réfléchissaient beaucoup sur les menus des repas, comme tous les parents qui avaient leur enfant aux champs de bataille. Ils avaient beau remplir la table avec ce qu’ils pouvaient trouver au marché, car je n’avais appétit pour rien. Je dormais très peu, comme tout le monde. Certains camarades prenaient des somnifères pour s’endormir. Une fille était restée assise chez son professeur pendant toute une nuit.

 

Dieu merci, j’étais en pleine forme durant ces deux jours et demi. Pendant la séance de maths, la tête vide a failli me rendre visite encore une fois, mais magiquement, elle a été chassée par une force inconnue. Peut-être mes ancêtres me bénissaient ! Ou bien les Bouddhas, selon ma mère (elle croit que c’était grâce à ses prosternements devant les Bouddhas que j’ai pu réussir, ainsi que ma soeur). Ou plutôt tous les deux. J’ai retrouvé la tête aussi claire que le ciel après la pluie. J’ai réglé sans obstacle toutes les questions. La note était meilleure que ce que j’attendais : 138 sur 150 – un résultat dont mon professeur de maths parlerait à ses élèves les années suivantes.

 

J’avais très souvent imaginé que, après gaokao, je jetterais les diables de livres, je crierais et sauterais de joie comme une folle. Pourtant, lorsque le moment arriva effectivement, je me sentais tranquille, même vide, sans savoir quoi faire. Je n’en avais pas l’habitude, de la libération. De toute façon, je n’aurais jamais envie de retourner aux années de lycée. Pendant la première année universitaire, j'ai fait plusieurs fois le même cauchemar : j’étais encore au lycée, ayant le gaokao devant moi. Quand je me réveillais, je me sentais sauvée que ce n’était qu’un rêve. J’ai su plus tard que certains autres camarades ont fait ces rêves, cauchemars plutôt, aussi.

 

Malgré tout, je remercie profondément tous ceux qui m’ont soutenue durant ces années là, surtout ma famille, dont je m’éloigne de plus en plus après la réussite au gaokao.

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